Comme d’habitude fait retour la thèse d’un divorce entre les «élites» et les «peuples» européens. Son succès est assuré par les mythes qu’elle fait revivre : mythe de la nation pour les souverainistes de droite, mythe de la révolution pour ceux de gauche. Le succès de la thèse doit également à son simplisme et au confort qu’elle procure à quiconque la reprend à son compte, puisqu’elle permet de réaliser deux opérations avantageuses : tout expliquer et se ranger aux côtés du peuple en colère. C’est encore plus beau quand les tenants de la thèse n’ont rien de populaire, ce qui n’est pas rare, évidemment.
La thèse peut faire l'objet d'un usage authentiquement populiste lorsqu’elle permet à des élites sociales de se réclamer du peuple, ou de revendiquer une empathie avec celui-ci, afin de poursuivre une activité médiatique ou politique qui n’est pas moins profitable que celles qu’ils fustigent.
Enfin, la thèse est assurée de rencontrer un large écho parce qu’elle a de nombreux et puissants soutiens: celui des souverainistes de droite, au nom du peuple national, celui des souverainistes de gauche, au nom des travailleurs, et, last but not least… celui des gouvernements nationaux.
En effet, ces derniers ne résistent presque jamais à la tentation de transférer sur l’Union les remontrances qui leur sont en fait destinées. Le cas irlandais est ici emblématique, car chacun sait que l’Europe a beaucoup apporté à ce pays.
Ce n’est pas l’Union qui est critiquée par les Européens, mais les gouvernements nationaux qui, presque partout, suscitent une insatisfaction croissante. On connaît d’ailleurs la plupart des raisons de cette impopularité commune : le pouvoir d’achat, le prix de l’essence en particulier, le vieillissement démographique qui frappe notre continent et son cortège de conséquences, réforme des retraites, de l’assurance maladie, immigration, etc. Rien de très populaire donc.
L’Europe pourrait jouer un rôle bien plus important dans tous ces domaines… si les gouvernements nationaux acceptaient de coopérer davantage. Mais les souverainistes de droite ne manqueraient pas de dénoncer la trahison de la patrie, tandis que ceux de gauche se chargeraient du procès des profiteurs, en une alliance désormais installée, qui voit de plus en plus souvent les uns et autres s’échanger leurs arguments.
Pour ce qui me concerne, je ne vois pas la montée de l’euro-scepticisme mais plutôt l’avènement d’un «stato-scepticisme», c’est-à-dire d’un fort mécontentement des Européens vis-à-vis de leur gouvernement national. Pour l’avenir, je ne parierais pas sur la faiblesse de l’euro-scepticisme si nos dirigeants venaient à prendre les mauvaises décisions. Mais quand l’Europe sera vraiment impopulaire, les dirigeants nationaux seront haïs et les peuples se détesteront entre eux. Confrontés à la globalisation, les Européens ne voient pas en rêve leur Etat voguant en solitaire, pour aller discuter avec la Chine, la Russie ou les Etats-Unis les tarifs commerciaux. Ils ne rêvent pas d’acheter leur pétrole avec une monnaie nationale enfin restaurée. Jusqu’à présent, cela peut changer, les centaines de millions d’électeurs européens n’ont nulle part voulu confier leur pouvoir national à une force politique ayant comme programme de remettre en cause l’appartenance à l’Union. On peut le voir en consultant les presque 90 élections nationales qui ont eu lieu dans les 27 pays de l’Union européenne depuis 1996. Ne laissons pas croire que les Européens pensent de l’Union ce que les Irlandais pensent de leur gouvernement.
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