Si l’affirmation d’un souverainisme séparatiste belge remet en question l’existence de ce pays, elle soulève aussi des problèmes auxquels l’ensemble des Européens devront réfléchir sans trop tarder. Trois illusions, chacune d’une nature très différente des deux autres, peuvent conditionner une expansion du souverainisme séparatiste.
1.- L’illusion du Heimat. La puissance du mouvement de globalisation et l’accélération du vieillissement démographique exposent les Européens à un désir de repli sur des communautés réconfortantes infranationales. Un patriotisme du terroir, de langue, d’une culture spécifique pourrait aussi bien devenir la réponse instinctive à l’anxiété que lève l’évolution du monde telle qu’elle est perçue par nombre d’Européens qui redoutent la dilution de leur identité.
2.- L’illusion du Demos. Confrontés à une histoire qui leur échappe, les Européens risquent de se méprendre et de croire que la réduction de la taille de leur unité politique d’appartenance est la réponse pertinente à son sentiment d’impuissance. Le souverainisme séparatiste porte la promesse d’une restauration de la souveraineté populaire, c’est-à-dire la réactivation d’une capacité populaire à peser sur les décisions publiques. En d’autres termes, le sentiment d’impuissance face à la marche du monde et la crainte d’une incapacité à peser sur l’évolution de l’Union se combinent au soupçon d’une démission, ou d’une déconstruction, de l’Etat-nation pour amener l’Européen à penser, comme Rousseau et Platon, que seules de petites Cités sont capables de donner le jour à un ordre politique autorisant une citoyenneté authentique. On retrouve cette quête dans le projet d'une démocratie locale ou dans celui d'une démocratie participative.
3.- L’illusion de la Potestas. Enfin, sachant que l’Union européenne repose sur l’autorité des Etats membres, quelques séparatistes espèrent qu’un éclatement de la Belgique leur permettra d’imposer à l’Union un nouvel Etat membre et que cette communauté infranationale promue au rang d’Etat accèdera au pouvoir qui est reconnu à toute nation membre de l’Union. Comme en témoigne la règle de fait attribuant un Commissaire par pays, la promotion d’une communauté régionale au rang de partenaire étatique peut lui donner le sentiment d’un gain de puissance obtenu grâce au changement statutaire.
Si de tels mécanismes devaient jouer librement, l’Union européenne deviendrait alors paradoxalement une machine à fabriquer des Etats et à relancer le rêve périlleux de la souveraineté nationale. La capacité d’influence de ces pays devenus plus petits, n’augmentera pas pour autant, risquant de nourrir parmi leurs habitants un sentiment anti-européen de plus en plus puissant. En l’état actuel des choses, des élites politiques comprendront leur intérêt à s’engager dans un souverainisme séparatiste capable de leur fournir des rétributions «nationales» et européennes qu’ils n’auraient pas aussi sûrement sous le régime du statu quo.
L’Union européenne doit supprimer les mécanismes incitatifs qui existent aujourd’hui. Ainsi, à titre d’exemple, le souverainisme séparatiste ne doit pas donner accès à un statut d’Etat membre plein et entier lorsque la séparation se produit au sein d’un pays déjà membre de l’Union. Dans ce cas, l’Union doit demander aux représentants des différentes communautés concernées de s’accorder entre eux pour la répartition des charges européennes dont le nombre ne doit pas augmenter, sous peine de rendre de tels mouvements avantageux pour les élites qui les conduisent. Le cas belge nous invite à réfléchir aux effets qu’une multiplication des fragmentations infranationales pourrait avoir sur l’intérêt des Européens, des peuples comme des nations, à l’âge de la globalisation.
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