A travers un texte dans Libération et une interview dans 20 minutes, Laurent Fabius annonce lui-même son retour, cette fois dans la posture d’un «actif sage». Cela mérite notre attention, car, pour en rester à ses analyses au cours de la dernière décennie, Laurent Fabius s’est montré plus actif que sage :
1) il s’est trompé une première fois en 1997-2002, lorsqu’il poussait Lionel Jospin à gouverner au centre (privatisations, ouverture au capital privé des entreprises publiques, baisse des impôts, etc.). D’abord comme président de l’Assemblée nationale puis comme ministre de l’Economie et des Finances, il s’attelle alors à une œuvre salutaire de modernisation de la gauche, reprenant systématiquement le projet de son candidat pour en réduire l’ambition sociale au nom de la bonne gestion des comptes publics. Il est ainsi à l’origine de la fameuse phrase de Jospin «mon projet n’est pas socialiste» ;
2) après l’échec du 21 avril 2002, il aurait pu persister sur cette voie utile mais il s’est trompé une deuxième fois en abandonnant cette position blairiste pour opérer un virage à gauche particulièrement spectaculaire. La conviction qu’une gauchisation du PS lui donnerait la victoire en 2007 a été durement contredite par l’élection de Nicolas Sarkozy, tandis que les réserves électorales qui ont manqué à Ségolène Royal lors du premier tour ne se trouvaient pas à la gauche du PS mais sur sa droite, chez les électeurs de François Bayrou. Cruel retournement, la stratégie de Fabius en 1997-2002 aurait pu faire gagner la gauche en 2007… mais lui-même, entre-temps, en était devenu le critique acharné, ouvrant des procès en droitisation, jouant ostensiblement le rapprochement avec la gauche de la gauche, de 2003 à 2006, avec insistance pendant la campagne référendaire de 2005 ;
3) la bataille du «non» a été la troisième erreur de Laurent Fabius. Convaincu que les Français allaient rejeter le TCE, il a choisi d’en être le plus farouche de ses adversaires, jusqu’à dénoncer véhémentement les textes de la partie III, reprenant comme on le sait les traités qu’il avait défendus avec fougue lors de la campagne référendaire pour le traité de Maastricht. Le 29 mai 2005 ressemble à une victoire, Fabius devenant le seul «présidentiable» à avoir prôné le «non». Mais il a été sèchement éliminé par ses camarades. Sur le fond, sa défaite est complète : le soir du 22 avril 2007, les trois candidats arrivés en tête avaient défendu le TCE tandis que tous ceux qui l’avaient combattu se trouvaient confinés aux marges.
Trop long ou trop court, trop tôt ou trop tard, mais
toujours raté. Jusqu’ici, Fabius semblait souffrir du syndrome Rantanplan.
L’automne 2007 marque peut-être un nouvel essai. Il est vrai que l’élection de
Nicolas Sarkozy change profondément la donne. Laurent Fabius ne prendra pas le
risque de manifester en faveur des régimes spéciaux. Amorce-t-il un nouveau
mouvement ? Lequel ? Dans une contribution publiée par Libération
(30/08/2007), l’ancien Premier ministre expose les « quatre points cardinaux »
qui devraient à ses yeux orienter la politique : l’environnement, le
vieillissement, le développement et le financement. L’analyse n’est pas
originale mais elle est du coup peu contestable. Il n’y est pas question
d’Europe et aucune idée n’est proposée pour faire mieux que le TCE, bientôt
remplacé par un accord intergouvernemental contre lequel Fabius ne dit rien. Interrogé
par le quotidien 20 minutes (28/09/07), Fabius affirme pourtant «ce qui
m’intéresse, ce sont les analyses et les propositions de fond. Je serai donc un
‘actif sage’. Un reconstructeur». L’entretien se poursuit ainsi :
- Bastien Bonnefous : Donnez-nous quelques exemples de propositions...
- Laurent Fabius : Pour financer durablement les
retraites et la protection sociale, nous devons proposer de soumettre les
revenus financiers à cotisation sociale. En matière d’environnement, il faut
aller rapidement vers une ‘pollutaxe’ décourageant les émissions de carbone. Je
propose également de lancer le projet d’une Communauté européenne de la
recherche et de l’innovation, avec les pays de la zone euro. Sur le terrain de
la démocratie, je propose d’inscrire dans la Constitution l’exigence d’équilibre
des temps de parole dans les médias audiovisuels, en y intégrant le chef de l’Etat ».
On le voit, rien d'original, exceptée l’idée de créer une communauté européenne de la recherche dont les Britanniques ne feraient pas partie. Mais au moins il est question d’Europe. Peut-être est-ce l’amorce d’un tournant, ce serait le côté «actif» ; un tournant heureux cette fois, plus responsable, ce serait le côté «sage». Il serait temps (pour lire les derniers textes de Laurent Fabius).
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