La France et la Turquie se rapprochent, d’ailleurs les deux présidents de la république nouvellement élus ont un problème avec le statut de leur épouse ! Plus sérieusement, face à la question turque, Sarkozy n’avait plus vraiment le choix. Déjà, trop de contraintes jouaient contre lui, au sein de l’Union, en Turquie et jusqu’au cœur de la politique étrangère qu’il veut mettre en place. Pour ce qui concerne l’Union, l’état de nos finances publiques nous place dans une situation délicate au sein de la zone monétaire européenne, réduisant l’influence française sur plusieurs dossiers. La Commission est naturellement attachée à la poursuite du processus de négociation. Or, son soutien sera précieux pour le dossier budgétaire comme pour celui, récurrent, de la politique industrielle. Non seulement les pays membres ont tous ratifié l’ouverture des négociations, mais ils sont tous favorables au respect du processus engagé. C’est le cas en particulier du Portugal qui s’apprête à présider l’Union pour un semestre au cours duquel Nicolas Sarkozy espère contribuer à formaliser ce compromis institutionnel qui doit mettre fin à la confusion actuelle.
Pendant sa longue campagne électorale, Nicolas Sarkozy a parlé très imprudemment de la Turquie, pour des raisons évidentes et qui ne comptent pas pour rien dans son élection du 6 mai (voyez par exemple le petit échange sur la question avec Ségolène Royal lors du débat d’entre-deux tours du 2 mai). Or, non seulement la Turquie ne ressemble pas aux descriptions outrancières si souvent véhiculées, par bêtise ou par malhonnêteté, mais nul ne peut ignorer que les élections législatives du 22 juillet dernier se sont déroulées dans des conditions particulièrement satisfaisantes. Si la crise politique autour de la question de l’élection à la présidence de la république d’un membre de l’AKP s’est dénouée sans drame, c’est parce que les parties prenantes se sont inclinées devant le choix démocratique des Turcs. Aujourd’hui encore, dans le monde musulman, l’exception turque se confirme.
Enfin, en s’obstinant, Nicolas Sarkozy prenait le risque de laisser planer un doute sur la crédibilité et la cohérence de la politique étrangère qu’il s’efforce de mettre en place. Le président français ne peut pas ignorer l’exception turque et saluer les progrès démocratiques qu’il constate en Algérie, au Maroc, en Tunisie et jusqu’en Libye ; on ne peut pas projeter de construire «l’Eurafrique» puis «l’Euro-méditerranée» en imaginant d’y inclure la Turquie, tout en rejetant ce pays hors de l’Europe pour cause de penchant géographique pour l’Asie mineure. C’est dans ce contexte que la Turquie a fait comprendre qu’elle n’était plus disposée à indexer son ambition européenne sur les surenchères populistes internes aux Etats membres et sur la courbe des contorsions conceptuelles de leurs chefs. Cela n’est pas sans coûts. Si la France bénéficiait il y a encore peu de temps d’un statut privilégié dans l’opinion turque, en particulier parmi les élites, les usages démagogiques du dossier d’adhésion ont fait de sérieux dégâts. Quelques-unes de nos entreprises en payent le prix et quelques grands projets économiques ou industriels ont été ficelés sans nous, dont certains avaient pourtant une portée stratégique.
On ne peut pas se permettre en un seul mouvement de rabrouer la Turquie, de prononcer un discours jugé choquant par les Africains, fustiger la politique monétaire chinoise, la brutalité de la Russie, l’inconscience de la BCE, les errements de la diplomatie américaine, etc.. On ne peut pas non plus conforter à ce point le rôle de l’OTAN, en appeler à une solution pacifique au Proche-Orient, vouloir compter en Irak, peser sur l’Iran, avoir son mot à dire sur l’ensemble de la région, tout en ostracisant la Turquie, partie prenante dans chacun de ces dossiers. On ne peut pas non plus vouloir, à juste titre, «prévenir une confrontation entre l'Islam et l'Occident», «intégrer dans le nouvel ordre global les géants émergents», assurer «la pérennité des approvisionnements énergétiques» et lutter contre le terrorisme (discours du 27 août 2007) sans admettre en même temps que l’action d’Ankara sera déterminante sur tous ces points et qu'elle peut être favorable aux intérêts européens.
La France ne pouvait pas sortir d’un «non» (au TCE) pour entrer dans un autre (à la Turquie). Il était temps de retrouver les bonnes relations que nous avions avec la Turquie en cessant de faire planer une menace sur le calendrier des négociations voire sur les procédures. Le virage opéré par Nicolas Sarkozy est une bonne nouvelle. Il convient de saluer ces inflexions significatives contenues dans ce discours du 27 août 2007.
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