Au cœur d’un conflit social lié aux contentieux qui oppose les Lecteurs des universités britanniques à leurs employeurs, une controverse cruciale s’est fait jour. Le 29 mai 2006, le National Association of Teachers Further and Higher Education (le Natfhe), a adopté une motion décidant le boycott des universitaires israéliens. Le Natfhe, qui compte 69000 membres, est le principal syndicat britannique de l’enseignement supérieur. C’est au cours de sa conférence annuelle, à Blackpool, que le Natfhe a adopté ce texte, par 106 votes pour, 71 contre et 21 abstentions. La motion vise les Universités et les universitaires israéliens «qui ne prendraient pas publiquement eux-mêmes leur distance» avec la politique israélienne à l’égard des Palestiniens. La motion, proposée par Tom Hickey, lecteur en philosophie à l’Université de Brighton, établissait un parallèle entre la politique israélienne et celle du gouvernement d’Afrique du Sud pendant la période de l’apartheid. La référence à l’«apartheid» est explicite. Dans ce texte qui aurait pourtant été édulcoré, selon The Economist (3/06/06), le syndicat lance des accusations particulièrement violentes contre ses collègues, reprochant à « la majorité des universitaires israéliens » leur « complicité avec la politique du gouvernement israélien ». Le secrétaire général du syndicat, Paul Mackney, a tenté en vain d’empêcher l’adoption de cette motion. Les représentants de la communauté juive britannique ont qualifié cette décision de «pernicieuse». Le Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles y a vu «un instrument de l’antisémitisme» (The Economist, id.). On a pu observer que ces deux syndicats ne sont pourtant pas inertes devant les opinions de ce type. Ainsi, au début de l’année 2006, les deux organisations avaient vigoureusement condamné les propos tenus par un lecteur qui avait déclaré, à l’extérieur de la salle de cours, que les Noirs étaient intellectuellement inférieurs aux Blancs. L’Anti-Defamation League a jugé que la décision de boycott constituait une «mise en cause de la liberté académique», et a dénoncé la motion dans une pétition signée par 12000 personnes. Ce n’est pas la première fois que des universitaires britanniques se lancent dans un appel au boycott de leurs collègues israéliens. En 2005, l’Association des professeurs d’Université (the Association of University Teachers, AUT, rassemblant 32000 membres) avait adopté lors de sa conférence annuelle une décision de boycott de deux universités israéliennes, accusées de complicité avec la politique de leur gouvernement. Un mois plus tard, une motion contraire avait annulé ce vote en raison de la forte opposition qu’elle avait suscitée.
Dans The Times (1/0/06), le professeur Standley Henig a vigoureusement dénoncé cette décision : «les Britanniques et les Israéliens bénéficient d’élections démocratiques, d’un pouvoir judiciaire indépendant, d’une presse libre, de garanties en matière des droits de l’homme et d’égalité entre les genres et entre les races, à la différence de nombreux autres pays, vis-à-vis desquels aucun boycott de leurs universités ne semble prévu». Certains commentateurs ont souligné qu’aucune proposition de boycott n’avait été lancée contre les collègues iraniens qui ne désapprouvent pas publiquement leur gouvernement à chaque fois qu’il menace Israël de destruction. Dans un autre ordre d’idée, les propositions de boycott pourraient être lancées en direction des universités et des universitaires chinois ou de nombreux pays africains. Il va de soi que parmi les universitaires qui ont refusé de voter cette motion de boycott, beaucoup n’en sont pas moins critiques à l’égard de la politique conduite par Israël dans les Territoires palestiniens. Ce qui est problématique est certainement d’appliquer un régime de boycott à des universitaires et à des universités d’un pays donné, tandis que d’autres pays seraient épargnés par cette mesure. Le fait que le pays auquel on réserve ce traitement soit Israël constitue un second problème. On peut imaginer que la question se pose différemment dans les pays où les universitaires n’ont pas la possibilité, sauf à prendre un risque considérable, de mettre en cause la politique menée par leur gouvernement. Israël étant une démocratie, ses universitaires auraient donc non seulement la possibilité mais aussi le devoir de le faire. Dans ce cas, pourquoi ne pas boycotter les universitaires américains qui n’ont pas publiquement désavoué l’engagement militaire de leur pays en Irak ou les prisons de Guantanamo ? Ou bien encore, peut-on faire d’un droit (celui de la critique de son gouvernement) une obligation sans mettre en cause la liberté de pensée ? La décision de boycotter les universitaires qui ne condamnent pas publiquement la politique du gouvernement israélien dans les Territoires palestiniens s’apparente en effet au boycott d’universitaires qui ne défendent pas publiquement le point de vue des boycotteurs. Les universitaires qui ont voté pour ce boycott ont enfreint au moins deux règles fondamentales au milieu académique : la première est celle de la liberté d’opinion ; la seconde est celle de l’échange. Pour quel motif des universitaires pourraient-ils décider de ne plus communiquer avec certains de leurs collègues ?
Le boycott décidé le 29 mai n’aura duré que 3 jours, le Natfhe disparaissant le 1er juin, en fusionnant avec l’Association des professeurs des Universités pour fonder, on peut le signaler au passage, le plus important syndicat d’universitaires au monde (110 000 membres). Mais ces trois jours restent problématiques, et lorsque The Economist rapporte que la «décision était avant tout symbolique», je ne sais pas s’il s’agit de minimiser sa portée ou bien d’en souligner au contraire toute la gravité.
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