L'ambassadeur des Pays-Bas en Estonie vient de quitter son poste, à sa demande. Le couple qu'il forme avec son compagnon noir a été jugé comme une double provocation, donnant lieu à des comportements agressifs répétés, racistes et homophobes. Leur vie à Tallinn devenait insupportable. Au même moment, le Gouvernement polonais laisse se développer un discours public violemment homophobe, notamment porté par les milieux catholiques et leur moyen de communication principal, Radio Marya (3 millions d'auditeurs), tout en multipliant les propos antisémites. En 2004 et en 2005, Lech Kaczynski, le maire de Varsovie, qui est l’actuel président de la République, avait interdit l’organisation d’une «marche pour l’égalité» que les associations gays et lesbiennes voulaient organiser dans les rues de la capitale. A Poznan, en novembre 2005 puis à Cracovie, en avril 2006, les manifestants qui ont pris le risque de défiler ont été agressés par les forces de l'ordre soutenues par les activistes de la Ligue des familles polonaises, aujourd’hui membre de la coalition gouvernementale, dont certains ont promis «le Gaz pour les Gays» ou encore «les gouines à Auschwitz » (The Irish Times, 9 juin 2006). Le président de la Ligue des familles polonaises, Roman Giertych, qui s’est lui-même illustré par des propos particulièrement violents, est devenu ministre de l’Education. Changeons encore de pays. En Lettonie, le 25 octobre 2005, le Parlement national adoptait un amendement à la Constitution limitant explicitement le mariage à l’union entre un homme et une femme, pour bloquer toute évolution en ce domaine. En Hongrie, le groupe de travail Habeas Corpus vient de recenser 60 cas de discrimination contre les homosexuels, à quoi il faut ajouter les cas d'agression.
Ces informations témoignent d’une propagation de l’homophobie dans certains pays européens, et je me demande si le processus d’européanisation ne peut pas prendre un tour imprévu qui serait le populisme, avec les discours de stigmatisation qui l’accompagnent, encouragé par des gouvernants en perte de popularité ou des opposants en manque de notoriété ou d’électeurs. Mais on peut aussi bien regarder le problème autrement : si la «marche pour l’égalité des droits» aura bien lieu cette année à Varsovie, ce samedi 10 juin, c'est en raison des pressions exercées par l’Union européenne et par les associations européennes de défense des droits de l’homme. Des manifestants venus d’Allemagne, de France, des Pays-Bas et de Suède vont se joindre aux Polonais. Des représentants du Parti socialiste français sont attendus, ainsi que des eurodéputés. Les maires de Paris, Londres et Berlin ont adressé des lettres des soutien aux organisateurs de la marche. Ceux qui ne peuvent faire le voyage en Pologne organisent des rassemblements de solidarité, le 10 juin, comme celui qui aura lieu à Paris, devant l’ambassade de Pologne, à Midi, heure à laquelle doit débuter la marche à Varsovie. Les manifestants demandent aux Etats de l’Union d’exercer une pression sur le Gouvernement polonais pour que soit pleinement respectée la Charte européenne des droits fondamentaux (reprise et renforcée sur ces points dans le Traité constitutionnel).
Je note que l’idée d’européanisation revêt une première forme, simple, qui la rend comparable à un phénomène de propagation à plusieurs pays d’un même type d’opinion ou de comportement : dans un cas une même poussée d’homophobie, dans l’autre l’indignation qu’elle suscite. Mais l’européanisation peut revêtir une autre forme, plus complexe. Elle s’exprime dans l’émergence d’un mouvement de solidarité avec des Européens, constituant à la fois une communauté et un espace commun prenant appui sur un même texte d’affirmation des droits et libertés –la Charte européenne des droits fondamentaux-, pour exercer une action de contrainte sur les Gouvernements nationaux. On pourrait schématiquement distinguer ces deux formes d’européanisation : dans un premier cas, une série de confrontations nationales, entre deux points de vue, que l’on retrouverait à l’intérieur de chacun des pays membres, comme si coexistaient plusieurs débats identiques, voire vingt-cinq, mais tous nationaux ; dans un second cas, la confrontation entre ces deux points de vue se situerait au niveau européen, donnant corps à une société civile européenne, dans l’émergence d’un espace public commun, sous la forme d’une mobilisation transnationale –dans ce cas une euromanifestation- justifiée par la défense d’un corpus commun de règles, de principes et de valeurs et, de ce fait, lui donnant tout son sens.
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