Quelle est la dynamique électorale du Non ? Pour tenter de répondre, essayons de mettre au jour les différents éléments qui ont composé les 55% de suffrages en faveur du Non.
Première question : le Non était-il le produit d’une dynamique de gauche ? Considérons les courants électoraux qui, en se conjuguant, ont produit le résultat du 29 mai 2005. On peut retenir des hypothèses simples. Sachant que le vote d’extrême droite mobilise au moins 10% des suffrages au plan national (je choisis sciemment une hypothèse basse) et que tout indique que cet électorat s’est massivement exprimé en faveur du Non, le vote d’extrême droite a donc représenté 18% du Non. Si l’on estime que les souverainistes de droite (Philippe de Villiers, Charles Pasqua et Nicolas Dupont Aignan) ont réuni ensemble au moins 5% des suffrages, leur contribution au Non approchait donc le dixième des bulletins (9%). Dans cette hypothèse, le total extrême droite + droites souverainistes a donc apporté plus d’un quart des bulletins au Non (27%). La gauche du Non était vraisemblablement majoritaire dans l’électorat du Non, mais comme elle était minoritaire dans l’ensemble de l’électorat français, elle n’a donc pas pu obtenir le rejet du Traité européen sans l’apport des extrêmes droites et des droites souverainistes.
L’évaluation du poids des électorats protestataires dans le résultat final montre également les impasses du Non. Il s’agit ici d’estimer non plus l’apport de l’extrême droite au Non, mais celui des forces extra-parlementaires. On agrègera donc tous les votes extrêmes, droite et gauche confondues. Reprenons l’hypothèse d’un vote d’extrême droite réunissant 10% des suffrages exprimés, soit une contribution de 18% au Non. Estimons le poids électoral de l’extrême gauche trotskiste à 5% des suffrages, soit 9% du Non, et l’on aboutit alors au même résultat : 27% des bulletins du Non ont été fournis par les formations anti-européennes, antiparlementaires et protestataires avec lesquelles on ne voit pas comment gouverner. Si l’on additionne le Non des droites extrémistes (FN, MNR) avec celui des droites souverainistes (MPF, RPF) et celui des partis trotskistes, on obtient 20% des suffrages exprimés, en reprenant les hypothèses précédentes, soit 36% de l’ensemble du Non. Dans tous les cas, la victoire du Non n’a été possible qu’en raison de l’apport décisif des votes d’extrême droite et/ou en raison de l’apport plus massif encore des votes protestataires. Si j’avais retenu un jeu d’hypothèses reprenant simplement les niveaux électoraux atteints par l’extrême droite et l’extrême gauche le 21 avril 2002, soit 30% des suffrages exprimés, la contribution de ces forces au rejet du texte devenait majoritaire (54,8% des bulletins Non).
Le Non est le résultat d’une fusion d’électorats qui ne permet pas de conclure à l'existence d'une dynamique. Les leaders de la gauche du Non s’efforcent de s’en attribuer la paternité. Ceux des formations souverainistes et de l’extrême droite font de même, ce qui est contradictoire, tel le député européen Carl Lang considérant trois jours avant le scrutin que « le Front national est fier de son ‘non’ national, populaire et social»[1], pour prédire ensuite que « Le succès du 'non' sera partagé par tous ceux, partis, syndicats ou associations, qui auront appelé à voter 'non' »[2].
Une part majoritaire des électeurs du Non n’a rien à voir avec les partis protestataires et une partie d’entre eux, plus faible cependant, souhaitait sincèrement faire progresser l’Europe en refusant le Traité. Il n’en demeure pas moins que les élites du Non ont contribué à fabriquer un mouvement qu’elles ne pilotent pas, à créer une situation qu’elles ne maîtrisent pas et en utilisant un système d’argumentation dont les effets dans l’opinion pourraient être redoutables.
Commentaires