On a vu hier que la victoire du Non n’aurait pas été possible sans l’apport des suffrages de l’extrême droite et de la droite souverainiste. Parmi les élites du Non, on a pu repérer quelques tentatives d’organiser des meetings communs, pourtant assez périlleuses. Là encore, je me permets de renvoyer à mon livre. Evoquons, à titre d’exemple, le meeting du Mercredi 2 février 2005 qui réunissait à la Sorbonne Jean-Pierre Chevènement, pour le MRC, Nicolas Dupont-Aignan, député de l’UMP, pour le Club Debout la République et Maxime Gremetz député du Parti communiste : « Maxime est un homme de convictions. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, c’est un républicain tout à fait respectable »[1] précisait alors Jean-Pierre Chevènement. Ce jour-là, le député UMP Dupont-Aignan assurait partager les critiques adressées par Chevènement au traité européen : « N’en déplaise à tous ceux qui voient la politique avec des lunettes politiciennes, je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit »[2]. Dans sa contribution, l’élu du PCF Maxime Gremetz énonçait avec pragmatisme une théorie de la convergence : « On n’a pas les mêmes idées, mais il y a une convergence évidente, c’est que nous sommes tous pour le ‘non’ »[3]. Ce que j’ai appelé la communauté du Non est également assumée ce jour-là par François Morvan, un ancien de la LCR, devenu l’animateur du mouvement Vive la république chargé de réunir les « chevènementistes hétérodoxes ». Il justifiait simplement l’organisation d’un meeting apparemment aussi hétéroclite : « le ‘non’ perdra s’il est morcelé. S’il transcende les clivages, il peut gagner et apparaître comme un vote d’avenir. Chacun doit mobiliser son électorat »[4].Quelques semaines plus tard, revenant sur ce meeting à l’occasion d’un entretien télévisé, Jean-Pierre Chevènement tenait des propos plus nets : « Je constate, pour avoir fait un meeting avec Maxime Gremetz et Nicolas Dupont-Aignan, que la plage de convergence est à 95% »[5].
J’ai déjà évoqué ici (cf. ma note du 24 mai 2006), la tentative de Laurent Fabius d’accompagner le rapprochement avec les souverainistes de droite, notamment lors du dîner du 12 mai 2005, incluant également un représentant du MPF de Philippe de Villiers. Cela montre comment, lancés à la recherche d’un électorat populaire perdu, les socialistes du Non ont terminé la campagne référendaire au milieu d’un monde ordonné par la référence nationaliste et le refus de l’Europe, commun à tous les partis du Non, sans aucune exception. Les militants du Non ont formé une coalition victorieuse parce que l’exaltation de la nation n’était plus le propre des souverainistes et parce que l’exaspération du sentiment xénophobe avait cessé d’être le monopole de l’extrême droite. Partis en guerre contre l’Europe ‘libérale’ pour réactiver le clivage gauche/droite, les élites socialistes du Non rejoignent paradoxalement un camp où l’on souhaite dépasser ces vieilles différences, et ce d’autant plus qu’elles sont regardées comme des obstacles majeurs à la pleine expression du sentiment national, lequel supposerait d’embrasser le peuple tout entier.
Dans un entretien au Journal de Saône et Loire, Henri Emmanuelli soutenait cet appel au dépassement du clivage gauche/droite : « Je ne vois dans ce traité aucun progrès démocratique, mais seulement des raisons de voter ‘non’, surtout lorsqu’on est de gauche. A droite, ceux qui sont attachés à l’idée d’indépendance européenne ne peuvent pas non plus approuver un texte dominé par les Britanniques, les plus anti-européens des Européens. Quand à faire l’Europe politique à 25, je n’y crois pas »[6]. Associer l’exaltation de l’indépendance à l’Europe ne trompait personne. Emmanuelli faisait bien référence à l’indépendance nationale. On ne voit pas en France quel est ce courant de droite qui serait attaché à « l’indépendance européenne ». Significativement, Emmanuelli fustigeait aussitôt un pays européen, achevant son propos par un enterrement pur et simple de l’Union européenne.
A ce jour, le seul résultat de cet étrange mouvement est le ralliement de Jean-Pierre Chevènement à la candidature de Laurent Fabius en 2007. Quant à Dupont-Aignan, lui-même pour l’heure candidat à la candidature, parions qu’il appellera finalement à voter pour le candidat UMP qui parviendra au second tour. Ce sera un ancien défenseur du Oui.
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