Célèbres depuis la fin des années 1990, les altermondialistes ont été en quelque sorte les stars du Non. Jusqu’à 2005 ils ne s’étaient pas directement impliqués dans une bataille électorale. Le camp du Non sera conforté par l’engagement militant de l’association Attac, de la Fondation Copernic ou encore de José Bové (notons l’un des points communs entre les représentants de cette mouvance qui est de n’avoir aucun mandat électoral, ce qui ne les retiendra pas de dénoncer avec virulence l’illégitimité de la Convention, qui comprenait pourtant une forte proportion de parlementaires). Les altermondialistes ne doutaient pas que la victoire du Non en France allait provoquer une onde de choc dans toute l’Europe. Ainsi, le président d’honneur d’Attac, Bernard Cassen, en des termes surprenant pour un altermondialiste, n’hésitait pas à déclarer qu’ « un ‘non’ français aura un sens particulier, il suscitera l’enthousiasme dans beaucoup de pays où il n’y a pas de référendum et même dans ceux où il y en a. Ils attendent beaucoup de la France. Ils savent qu’ici et pas ailleurs, le ‘non’ s’il l’emporte aura un caractère franchement anti-libéral »[1]. Usant d’un registre moins nationaliste, le président de la Fondation Copernic, Yves Salesse, annonçait la même vague : « sans redonner le monopole aux partis, la priorité consiste désormais à propager dans le reste de l'Europe la dynamique issue des urnes dimanche soir »[2]. Répété dans des meetings communs, ce pronostic avait fini par convaincre les autres représentants de la gauche du Non, tel le PCF, avec Marie-George Buffet imaginant, « si le 29 mai au soir la France est la voix de tous ceux en Europe qui refusent que l’Europe soit bâtie sous la logique libérale et veulent une autre Europe, quelle puissance pour la France ! Quelle belle voix pour la France ! »[3]. Les socialistes ralliés au Non partageaient cette vision historique, tel le sénateur Jean-Luc Mélenchon, pour la simple raison que « quand il s’agit de décider pour la France et quand la France décide, elle parle au monde ! »[4].
Il ne s’est pourtant rien passé, ou pas encore. Aucune onde de choc pour l’heure et pas davantage de proposition de la part de milieux pourtant grands producteurs de notes et de manifestes. A Athènes, du 4 au 7 mai 2006, le quatrième Forum social européen (FSE) s’est soldé par un échec cuisant que certains n’ont pu éviter de reconnaître, tel Pierre Khalfa, dans un bilan de ces journées : « L’objectif d’un forum social est d’abord d’être un espace de débats et de confrontation. Beaucoup reste encore à faire pour que les débats ne soient pas simplement formels et permettent une réelle confrontation : intervenants quelques fois trop nombreux, peu de travail de préparation en amont, peu de temps pour les échanges avec la salle. Cependant, le FSE à rempli malgré tout à peu près cette première fonction de tout forum social, même si la présence de délégations d’Europe du nord a été plutôt faible. Mais un forum social a deux autres fonctions : permettre l’élaboration d’alternatives et être un point d’appui aux mobilisations. De ce point vue, le bilan est plus mitigé» ; ou encore : « lors du FSE de Londres, le travail en amont pour préparer l’AG des mouvements sociaux avait réussi à lever un certain nombre de difficultés, ce qui avait permis d’aboutir à une proposition de manifestation européenne du 19 mars 2005. Ce travail en amont n’a pas été possible pour Athènes et l’élaboration du texte d’appel et les propositions d’action y afférentes ont été extrêmement laborieuses et conflictuelles, même si, en bout de course, le texte qui en sort est globalement satisfaisant au vu du contexte ». Significativement, lors de ce Forum social européen, le séminaire intitulé « Repenser l’Europe » s’est terminé sur un échec total. Il devait pourtant déboucher sur des propositions institutionnelles après le Non français et néerlandais.
Lettre d’un grand père allemand à son petit-fils français
LA CONSTITUTION FRANCAISE DE L’EUROPE
Mon cher petit-fils,
J’ai été surpris de voir ton esprit civique à un âge où on se fout pas mal de pareilles billevesées. J’ai été encore plus surpris de m’apercevoir que tu avais déjà l’âge d’aller voter. Tu veux que je lise pour toi cette énorme et confuse élucubration et que je t’en fasse un résumé assorti de conseils judicieux.
Je l’ai relue dans cette optique et je te fais grâce d’explications détaillées.
La présentation est un peu ringarde car, elle ignore superbement la norme AFNOR de numérotation des chapitres, titres et sous-titres. Le repérage est pénible.
C’est donc une constitution française pour l’Europe. On y retrouve la « patte » de l’Ecole Nationale d’Administration, familière à tous les lecteurs du « JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ». En l’occurrence, c’est précis comme l’analyse d’un avion renifleur. On y retrouve une forme et une subtilité spirituelle déjà appréciés avec la législation sur l’invention de l’avoir fiscal, sur l’imposition des plus values, et les réglementations catastrophiques sur le « regroupement familial », enfin tout ce qu’un journaliste appelait avec humour « l’autoritarisme mou ».
Comme dans nos lois inapplicables (littoral et SRU 2000, Etc.…), le verbe pouvoir remplace le verbe devoir, ce qui permet aux décideurs une abstention légale et une inefficacité certaine. Là encore, le législateur laisse la décision aux hauts fonctionnaires et aux juges administratifs. Enfin, comme dans toutes les législations françaises, les dérogations abondamment prévues transforment les meilleures intentions en vœux pieux parfaitement inutiles.
Lorsqu’il a fallu abandonner le droit régalien de « battre monnaie », on n’a pas eu besoin de constitution. L’impossibilité de faire tourner la planche à billets, pour boucher les trous du budget par des dévaluations, ne permet plus le déficit budgétaire programmé, ni la gestion sur une hypothétique croissance.
Ignorant superbement cet incontournable postulat, la constitution imaginée par des Inspecteurs des Finances, entérine les mauvaises manières de la quatrième République, ressuscitées par François MITTERAND et poursuivies par les « blancs bonnets » qui ont succédé aux « bonnets blancs ». Les mêmes se retrouvent avec bonheur pour approuver des deux mains ce qui condamne le système.
Que dire de cette phrase de l’article I – 16 (2) qui prévoit la nécessité d’une coopération loyale entre les rouages de cette organisation farfelue. Une coopération loyale ? Cela va sans dire et cela va encore mieux en ne le disant pas. On a vu ce que cela donnait pour accompagner la douteuse intervention américaine en IRAK. Quelle belle et loyale unanimité.
Enfin, cerise suprême sur le gâteau, la procédure de révision semble inspirée par notre code de l’urbanisme au chapitre de la révision du Plan d’Occupation des Sols (le fameux P.O.S amoindri en P.L.U). Puisqu’on peut la réviser, à quoi sert-elle si le suffrage universel n’intervient plus ?
Le rêve d’une Europe centrée sur le fameux « noyau dur de base », se répandant comme une tache d’huile destinée à s’étendre, en intensité, par l’unification des institutions, fiscales, économiques et sociales, ne se traduit pas dans ce verbiage vaseux.
A vouloir tout prévoir, on s’enferme dans un carcan parfaitement irréaliste. Le plus étonnant c’est de voir l’Allemagne avaler de telles couleuvres. Il est vrai qu’engourdie dans une repentance obligatoire des jeunes générations pour les folies de leurs anciens, elle n’ose plus rien dire. En lisant cette débauche de verbiage de la constitution française de l’Europe, on peut se remémorer l’affiche de la propagande allemande de 1938 : Un balai « européen » dépoussiérait devant la porte en expulsant un coq bleu blanc rouge, courroucé, avec des livres et des journaux à la mode française. La légende :
« Dehors le fatras français », est redevenue d’actualité.
Il suffira de remplacer le nom d’un des journaux balayés par celui de « constitution française pour l’Europe », pour rajeunir l’affiche.
Mon cher petit fils, je n’ai pas le droit de choisir pour toi. Je déplore que le vote « blanc » n’ait pas de signification. Il serait si bon qu’il corresponde, non à un refus total, mais à la réclamation d’un organigramme cohérent assurant le succès de l’application. Je vais donc, moi aussi, employer ce fameux verbe pouvoir.
Au OUI des vaincus on peut préférer le NON de la résistance.
Rédigé par : TATARD Capitaine au long cours | 24 juin 2007 à 18:52