Haut les coeurs et profil bas... Le traité de Lisbonne réalise d'importants progrès institutionnels tout en accomplissant une sorte de deuil constitutionnel. Il amende les textes des traités précédents : Rome, Acte unique, Maastricht, Amsterdam et Nice.
I. Progrès institutionnels :
1. Instauration d’une présidence stable du Conseil européen. Le traité supprime la présidence à rotation semestrielle. Le Président sera élu pour 2,5 ans par les chefs d’Etat et de Gouvernement. Le mandat pourra être renouvelé une fois. On peut donc imaginer un(e) Présidente du Conseil de l’Europe en poste pendant 5 ans. De plus, l’élection et non la rotation automatique, introduit un mécanisme de sélection, de choix et donc de responsabilité dont on peut attendre des effets vertueux.
2. Un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il dirigera le Conseil des ministres des Affaires étrangères et sera vice-président de la Commission. Il disposera d’un service diplomatique propre et de l’ensemble des fonds européens destinés à l’action extérieure. Nommé par le Conseil européen avec l'accord du président de la Commission, le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité remplace prend la place du haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et du commissaire européen chargé des relations extérieures ; sa compétence s'étend à la politique de sécurité et de défense commune. Dépendant du Conseil européen, le haut représentant peut être démis par celui-ci ; membre de la Commission, il est soumis au vote d'investiture du Parlement européen qui peut également le démettre en adoptant une motion de censure.
3. Réduction de la taille de la Commission. A partir de 2014, le nombre des Commissaires sera ramené aux 2/3 du nombre des Etats membres et les pays y seront représentés chacun à leur tour. Il y aura donc des pays non « représentés » au sein de la Commission. Cette réforme obéit à des considérations pratiques – telle que la nécessité de ne pas laisser le nombre des Commissaires augmenter au gré des élargissements – mais aussi à un impératif de principe : la Commission représente l’intérêt général de l’Union et non la diversité des pays membres.
4. Les pouvoirs du Parlement européen sont nettement renforcés par la généralisation de la procédure de codécision lui conférant les mêmes pouvoirs que le Conseil des ministres (il existe cependant des exceptions). Le Parlement européen acquiert un pouvoir de codécision en matière de justice et d'affaires intérieures, de politique commerciale commune, de législation agricole ; ses pouvoirs budgétaires augmentent également. Le traité de Lisbonne fait du Parlement l’égal du Conseil en matière de procédure budgétaire. A signaler encore la limitation du nombre maximum de parlementaires européens fixé à 751. Le nombre d’eurodéputés désignés à l’intérieur de chacun des pays sera compris entre un minimum (6) et un maximum (96 députés). Aucun pays ne pourra donc envoyer à Strasbourg plus de 12,7% des eurodéputés.
5. La prise de décision associe recherche du consensus et recours à la majorité. Les Européens s’efforcent de décider par consensus, l’Union n’est pas un empire, mais ils cherchent aussi un gain d’efficacité, la compétition mondiale est rude ! La définition de la majorité qualifiée : le traité de Nice sera appliqué jusqu’en 2014. A partir de cette date le nouveau mécanisme de la double majorité entrera en action : pour être adoptée, une décision devra avoir été acceptée par au moins 55% des Etats membres représentant au moins 65% de la population européenne.
Une période transitoire est prévue, entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017. Elle permettra à un Etat de demander l’application du système de Nice pour le calcul de la majorité, au cas par cas.
Le mécanisme de Ioannina. Par ailleurs, jusqu’en 2017, un Etat minoritaire pourra demander l’application du mécanisme dit «compromis de Ioannina» permettant de geler une décision majoritaire afin de prolonger le débat pour aboutir à un accord plus large. La déclaration n°4 annexée au traité de Lisbonne précise la définition de ce mécanisme : entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, un groupe d'États sera réputé proche de la minorité de blocage s'il regroupe au moins les 3/4 de la population ou les 3/4 des États membres requis pour constituer la minorité de blocage ; ces pourcentages seront abaissés à 55 % à partir du 1er avril 2017, date à partir de laquelle un État membre ne pourra plus demander l'application des règles du traité de Nice.
6. Les domaines susceptibles d’une décision majoritaire sont plus nombreux (une vingtaine en plus). L’unanimité reste la règle pour la politique étrangère, la politique sociale et la politique fiscale. La décision de majorité s’appliquera désormais à une quarantaine de domaines : coopération judiciaire et policière, immigration légale, éducation. Le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande conserveront la liberté de ne pas participer à l’élaboration de certaines politiques communes. Une base juridique est mise en place pour favoriser la mise en œuvre d’une politique européenne de l’énergie. Pour limiter les blocages dans les domaines qui demandent une décision à l'unanimité, d'ingénieuses clauses passerelles, qui étaient prévues par la Constitution européenne, permettront de décider à l'unanimité de passer à la majorité afin de pouvoir procéder à un vote.
7. Les coopérations renforcées sont facilitées. Le texte fixe à 9 le nombre minimum d’Etats requis pour mettre en place une coopération renforcée, contre 1/3 dans l’ancienne Constitution européenne. Apparemment, avec 27 pays, il n’y a pas de différence entre 1/3 et 9. Pourtant, écrire 9 et non plus 1/3 permet de ne pas rendre les coopérations renforcées plus difficiles dans le cas d’une augmentation du nombre des Etats membres (1/3 de 28 ou un 1/3 de 30, ce n’est plus 9). Ces coopérations renforcées pourront concerner les domaines judiciaire et policier. On peut donc envisager la création d’un parquet européen.
8. L’Eurogroupe est reconnu. L’Eurogroupe est reconnu. Il demeure cependant une instance informelle. Le Conseil des ministres européens de l'économie et des finances, «Ecofin», demeure le lieu où se prennent les décisions concernant l'union économique et monétaire. Cependant, pour les mesures concernant la coordination des disciplines budgétaires et des politiques économiques propres aux États membres de la zone euro, seuls les représentants de ces États pourront prendre part au vote, soit 13 en 2007 et 15 dès 2008.
9. La Charte des droits fondamentaux n’avait été que proclamée lors du Conseil européen de Nice. Le traité de Lisbonne lui confère une valeur contraignante. Cela implique que la Cour de justice contrôlera son respect par les institutions de l'Union comme par les États membres. Le traité confère également la personnalité juridique à l’Union européenne et prévoit son adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme.
10. Un principe de solidarité énergétique est introduit. Si un Etat membre rencontre de graves difficultés d’approvisionnement, la solidarité énergétique européenne sera mise en œuvre.
II. Deuil constitutionnel : les effets du «non» :
Les premiers effets du «non» se lisent dans la disparition des symboles figurant l’ambition de l’Union et son unité : références au drapeau, à l’hymne, à la monnaie commune... Le préambule précise cependant que l’Union européenne s’inspire «des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, la liberté et l'État de droit».
Les objectifs de l'Union sont en retrait par rapport au projet de Constitution mais en progrès par rapport aux traités existants. Ils comprennent désormais : l'«économie sociale de marché» ; la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, la justice sociale, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant ; la cohésion territoriale ; la promotion du progrès scientifique et technique ; le respect de la diversité culturelle et linguistique, la sauvegarde et le développement du patrimoine culturel ; dans les relations extérieures, la «protection» des citoyens de l'Union, le développement durable de la planète, la solidarité entre les peuples, le commerce libre et équitable, l'élimination de la pauvreté et la protection des droits de l'Homme.
La concurrence libre et non faussée n’est plus un objectif affiché de l’Union. D’un autre côté, cette modification est apparente. En effet, à la demande des Britanniques, le principe a été réintégré dans le protocole 6, annexé au traité. On le voit d’ailleurs à l’occasion du cas des services publics. Si l’article 14 du traité évoque la nécessité pour l’Union et les Etats membres d’assurer, par une loi qui reste à venir, les conditions économiques et financières permettant aux services publics de remplir leurs missions, il précise que leur fonctionnement ne doit pas contrevenir au jeu de la concurrence.
Deuxième série d’effets, la sensibilité souverainiste est manifestement chouchoutée. D’abord lorsque le traité introduit une nouvelle modalité du contrôle de subsidiarité par les Parlements nationaux. Si un projet d'acte législatif est contesté, au nom de la subsidiarité, par une majorité simple des Parlements nationaux et si la Commission décide de le maintenir, le Conseil et le Parlement européen devront se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité. Le projet d’acte législatif sera abandonné en cas de réponse négative, formulée soit par le Conseil, à la majorité de 55 % de ses membres, soit par le Parlement européen, à la majorité simple.
Ensuite à travers une volée de politesses adressée à la sacro-sainte identité nationale : «l'Union respecte (...) l'identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre».
Enfin, comme pour rappeler l’évidence, à savoir que l'Union est fondée sur la libre volonté des États membres, une procédure de retrait volontaire est introduite. Chaque Etat membre peut donc décider de quitter l’Union. Une seule contrainte pour le téméraire, outre le panache attendu : le respect d’une période transitoire de deux ans à partir de la décision de retrait.
Le principal effet du «non», le plus manifeste, est certainement l’absence de ratification populaire. A l’exception de l’Irlande, tous les Etats procèderont à une ratification parlementaire, rapide et discrète.
Pour plus de détails concernant le traité de Lisbonne, voyez par exemple les explications de la fondation Robert Schuman ou celles du Sénat.
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